23-10-2019

Interruption des crédits à une entreprise : pouvoir de décision et responsabilité de la banque


Les banques qui souhaitent interrompre un crédit à un client qui est une entreprise doivent respecter certaines règles, pour ne pas courir le risque de commettre un abus de droit.
En matière de rupture des crédits ou des concours bancaires à une entreprise, le Code monétaire et financier prévoit un délai de préavis minimum de 60 jours, sauf dans deux cas où aucun délai n'est requis : le comportement fautif du client ou sa situation financière irrémédiablement compromise.
Le délai de préavis de 60 jours s'applique uniquement aux concours à durée indéterminée, alors que les deux cas de rupture exceptionnelle (faute ou situation compromise) concernent les concours bancaires quelle que soit leur durée.
L'analyse du texte du Code monétaire et financier qui vise la réduction ou l'interruption des concours bancaires, conduit à s'interroger sur la définition d'un crédit à durée indéterminée, sur le formalisme obligatoire de la rupture, ainsi que les circonstances qui peuvent justifier l'absence de délai de préavis.
On peut utilement préciser aussi les pratiques en matière de crédit à durée déterminée, et les particularités lorsque la société entre dans le cadre d'une procédure collective.

Encadrement légal de la rupture d'un concours bancaire

Selon l'article L.313-12 du Code monétaire et financier :
"Tout concours à durée indéterminée, autre qu'occasionnel, qu'un établissement de crédit ou une société de financement consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l'expiration d'un délai de préavis fixé lors de l'octroi du concours. Ce délai ne peut, sous peine de nullité de la rupture du concours, être inférieur à soixante jours."
Outre les crédits à durée déterminée, les concours occasionnels sont donc aussi exclus de cette obligation de préavis de 60 jours. La question qui se pose alors est comment déterminer si un concours est occasionnel.
En matière de découvert, il n'y a pas toujours d'ouverture de crédit formalisée, du fait notamment que les banques ne souhaitent pas toujours s'engager de façon officielle sur l'octroi de telles avances. L'existence d'un concours à durée indéterminée découlera alors de l'examen par le juge du fonctionnement historique du compte à l'aide entre autres de la méthode du découvert moyen.
Les facilités de caisse ponctuelles ou les dépassements occasionnels de découvert autorisé ne rentrent pas dans le cadre contraignant prévu. Par contre si le solde du compte bancaire est négatif de manière durable, sur plusieurs mois, et pour des montants significatifs, cela peut constituer la preuve d'une autorisation de découvert tacite par la banque, et donc d'un concours à durée indéterminée.

Le même article L.313-12 prévoit aussi que "Dans le respect des dispositions légales applicables, l'établissement de crédit ou la société de financement fournit, sur demande de l'entreprise concernée, les raisons de cette réduction ou interruption, qui ne peuvent être demandées par un tiers, ni lui être communiquées."
Le formalisme de la notification de rupture par la banque exige l'envoi d'une lettre recommandé AR, mais pas forcément avec le motif de rupture. C'est au client de demander à la banque de fournir les raisons de l'interruption ou de la réduction du concours.
Une telle demande est souvent faite au départ d'un contentieux : le client fait sa demande de préférence par lettre recommandée, et, dans sa réponse, la banque doit fournir des raisons objectives et non discriminatoires pour éviter les risques de remise en cause en justice de la rupture avec des sanctions financières éventuelles.
A la base, la banque a le droit d'interrompre tout crédit si elle le fait dans la forme requise, et en fournissant au besoin un motif réel. Toutefois, dans certaines conditions, la résiliation d'un crédit peut entraîner des conséquences telles pour l'entreprise que celle-ci peut se retourner contre la banque et demander des réparations financières.

Exceptions à l'obligation d'un préavis de 60 jours :"L'établissement de crédit ou la société de financement n'est pas tenu de respecter un délai de préavis, que l'ouverture de crédit soit à durée indéterminée ou déterminée, en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation de ce dernier s'avérerait irrémédiablement compromise."

Premier cas dérogatoire au préavis de 60 jours

C'est le cas d'un "comportement gravement répréhensible du bénéficiaire" mais comment le définir ? Il peut s'agir du comportement du client envers la banque mais pas seulement, cela peut être avec d'autres banques, en matière financière en général, ou simplement des infractions condamnables pénalement.
Différents exemples ont déjà été rencontrés qui ont donné lieu à une rupture justifiée par la banque :

- commettre des actes malhonnêtes
- faire des dépassements importants et fréquents du montant de découvert autorisé
- ne pas respecter un échéancier de remboursement
- fournir des documents comptables faux pour obtenir/maintenir un crédit
- ne pas fournir les garanties demandées
- ne pas informer la banque de certaines situations comme, par exemple, l'ouverture d'une procédure de conciliation

Une affaire récemment jugée (Cass. com. 11 sept 2019, n°17-26594) montre que la banque est fondée à demander le remboursement immédiat des crédits en cours lorsque le client commet, en l'occurence, des actes malhonnêtes.
Un agent d'assurances bénéficiait de crédits et découvert importants. Pour rembourser ses emprunts, il encaissait des chèques destinés à ses propres clients au lieu de les verser sur leur compte. Lorsque la banque s'est aperçue de ces malversations, elle a résilié immédiatement tous les crédits qu'elle lui avait accordés. L'agent d'assurance a attaqué la banque en justice pour rupture abusive sans préavis, en invoquant de plus le fait que la banque aurait du s'assurer qu'il n'était pas le bénéficiaire des chèques frauduleusement encaissés. Le juge et la cour de cassation ont soutenu la position de la banque qui avait le droit de dénoncer ses concours sans préavis, son client ayant eu un comportement gravement répréhensible au sens de l'article L.313-12 du Code monétaire et financier.

Deuxième cas dérogatoire

La banque estime dans ce cas que l'entreprise cliente est dans une situation irrémédiablement compromise.
On entend par situation irrémédiablement compromise que l'entreprise ne peut surmonter ses difficultés dans une situation normale d'exploitation, faute de rentabilité, d'actifs, de fonds propres ou de commandes suffisantes.
La cessation des paiements, ainsi que la mise place d'un plan de redressement judiciaire, ne sont pas forcément équivalents à une situation définitivement compromise : la banque ne pourrait alors invoquer sans autre motif l'alinéa 2 de l'article L.313-12 pour rompre ses concours sans préavis.
Il faut souligner qu'il est parfois reproché à une banque d'avoir poursuivi son soutien à une entreprise lorsqu'elle était déjà dans une situation désespérée, lui permettant ainsi de continuer artificiellement son activité avec des conséquences dommageables pour d'autres créanciers. La banque risque autant sinon plus d'avoir à supporter des sanctions pécuniaires lorsqu'elle est laxiste sur ses concours que lorsqu'elle les résilie trop vite, sans prendre les précautions légales.

Interruption d'un concours à durée déterminée

Comme signalé plus haut, l'article L.313-12 ne s'applique pas aux crédits à durée déterminée, hors les deux exceptions de comportement répréhensible et de situation irrémédiablement compromise du client. Les crédits à durée déterminée doivent en principe aller jusqu'à leur terme.
Il n'en est pas ainsi si la banque fait figurer au contrat une ou des clauses de remboursement anticipé. Ces clauses visent par exemple le cas ou l'entreprise change de propriétaire ou d'actionnaire, ou plus souvent le cas où les conditions exigées ou covenants bancaires ne sont plus respectés par l'entreprise : ratios financiers, engagements divers...
La banque doit en général éviter de demander un remboursement immédiat et laisser un délai de remboursement à l'entreprise, même si les clauses de covenants sont rompues, afin d'éviter de la mettre en péril. A l'évidence, la cessation des paiements de l'entreprise qui en résulterait éventuellement ne faciliterait pas le remboursement des crédits.
Lors de la mise en place d'un contrat de prêt, l'entreprise doit donc négocier le mieux possible les conditions d'emprunt, y compris les covenants, afin de limiter les risques d'avoir à faire face à une demande de remboursement anticipé, ou de se voir obligée de renégocier un emprunt en cours avec des conditions moins favorables.

Le non renouvellement d'un crédit à l'échéance est différent d'une interruption : le principe est que la banque a un droit de décision discrétionnaire en matière de renouvellement de ses concours.
Le droit au crédit comme le droit au renouvellement d'un crédit n'est pas accordé automatiquement aux entreprises, les banques gardant leur libre arbitre en la matière.
Par contre une banque ne doit pas laisser entendre à son client que son concours sera renouvelé à l'échéance si elle n'a pas l'intention de le faire. L'entreprise en difficulté parce qu'elle aurait cru pouvoir continuer à disposer de ces fonds, aurait fait des investissements, ou n'aurait pas recherché de nouveaux financements en temps voulu, pourrait être fondée à entamer une procédure pour abus de droit contre sa banque.
La jurisprudence récente semble favorable aux banques comme le montre une affaire jugée en 2017 (Cass. com., 25 novembre 2017, n°16-16.839).
Une entreprise en difficulté avait dans un premier temps vu ses crédits à durée indéterminée devenir des crédits à durée déterminée, la banque ayant respecté le préavis. Puis, à l'échéance, les nouveaux crédits n'avaient pas été renouvelés, et l'entreprise avait lancé une procédure en justice pour "rupture abusive et brutale de crédit". Le tribunal a donné raison à la banque.
La cour de cassation a rappelé qu'il n'y avait pas de préavis à respecter lorsque la banque décide à l'échéance de ne pas renouveler un crédit, et aussi que le non renouvellement du crédit est une décision libre ou discrétionnaire de la banque. La cour a écarté par ailleurs le recours possible à un article du Code de commerce relatif à la responsabilité d'une rupture brutale d'une relation commerciale, qui aurait été plus favorable à l'entreprise (article L. 442-6, I 5°).

Procédures collectives

Dans le cas de l'ouverture d'une procédure collective, avec une période d'observation puis un plan de redressement, l'administrateur peut exiger l'exécution des contrats en cours à condition de pouvoir remplir la prestation attendue du débiteur : pour les emprunts paiement des échéances et intérêts.
Il peut y avoir contradiction entre cette faculté qu'a l'administrateur d'obtenir le maintien des concours bancaires d'une part, et le droit de rupture de la banque selon les termes de l'article L.313-12 du CMF.
Il a été jugé qu'une banque avait le droit d'interrompre ses concours comme prévu dans l'article cité, mais à condition que les motifs de la rupture correspondent à des circonstances ou des causes postérieures à l'ouverture de la procédure collective.
Pour des crédits à durée déterminé, l'administrateur ne peut s'opposer au non renouvellement du concours à l'échéance par la banque.
L'arrêté d'un plan de continuation, ou d'un plan de sauvegarde, n'empêche pas la banque de pouvoir exercer son droit de rupture, sauf si elle s'était engagée auparavant à maintenir ses concours dans le cadre du plan.

S'il est établi que la banque connaissait la situation financière dégradée et sans issue de l'entreprise avant l'ouverture de la procédure, elle peut être tenue pour responsable du soutien abusif de l'entreprise. A ce titre elle risque d'avoir à verser des indemnités à l'entreprise cliente ou à ses créanciers, dans la mesure où il y a aggravement du passif pendant la période de soutien artificiel.
Pour protéger les banques, qui risqueraient de ne plus vouloir prêter aux entreprises connaissant des difficultés, le législateur a limité à des cas précis les possibilités de condamnation d'une banque lors de l'ouverture d'une procédure collective : fraude, immixtion dans la gestion de l'entreprise cliente, prise de garanties disproportionnées, crédits entraînant des charges financières trop élevées pour l'entreprise contribuant ainsi à sa ruine.

Conclusion

Au final, si la banque interrompt un concours sans observer les règles légales décrites ci-dessus, l'entreprise est en droit de demander en justice l'annulation et le rétablissement du crédit. Mais en pratique, les délais de l'action en justice rendent cette possibilité sans intérêt pour l'entreprise qui aura entretemps soit trouvé d'autres crédits, soit fait faillite.
Il est donc conseillé aux entreprises de demander plutôt des dommages-intérêts. Pour cela il faut pouvoir démontrer la responsabilité de la banque, c'est à dire a) sa faute, b) le préjudice subi et c) le lien entre les deux. Ce n'est pas évident à faire, surtout si l'entreprise n'a pas été en cessation des paiements : comment pourra-t-elle apporter la preuve que sa diligence à trouver des financements alternatifs a été suffisante et comment quantifier le préjudice subi ?
Mais dans le cas d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire intervenant peu après une interruption des concours bancaires, et en l'absence d'une situation antérieure irrémédiablement compromise, la responsabilité de la banque qui n'aura pas respecté les conditions normales de rupture sera engagée et pourra donner lieu à indemnisation.


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