18/10/2016

TPE/PME technologiques : faut-il ou non prendre des brevets ?



Les brevets n'ont pas forcément un grand attrait pour les PME et les TPE : la procédure d'obtention est longue, coûteuse et ne met pas l'abri des contrefaçons, les concurrents français et surtout étrangers comptant sur le manque de moyens financiers de l'inventeur, moyens indispensables pour exercer une défense juridique efficace.
L'émergence aujourd'hui de l'économie collaborative, et des écosystèmes dit innovants, dont le modèle de développement est fondé sur le partage des connaissances et des innovations, semble aller dans le sens contraire de celui des brevets, traditionnellement assimilés à la propriété individuelle et à la protection défensive face à la concurrence.
Mais une nouvelle guerre de brevets a été relancée par des sociétés leader comme Apple contre Samsung. Des sociétés comme Google et Amazon déposent aussi de plus en plus de brevets, dans des domaines extrêmement variés. Le nombre global de dépôts de brevets est en augmentation. Le nombre de procès en contrefaçon qui s'accroît aussi, surtout dans certains secteurs, serait la conséquence d'une stratégie offensive d'utilisation des brevets par des groupes, des multinationales ou des fonds puissants spécialisés dans l'achat de brevets ("patent trolls").
A l'opposé, dans d'autres secteurs de haute technologie comme celui des véhicules électriques ou utilisant les piles à combustible, des constructeurs (Tesla et Toyota) proposent de mettre leurs brevets à disposition gratuitement, de façon permanente ou temporaire. Cette politique n'est sans doute pas sans arrière-pensée : objectif de créer une filière technologique ou de faire adopter ses propres normes techniques, obtenir en contrepartie la possibilité d'utilisation des techniques développées par d'autres sociétés. De plus, ces constructeurs continuent de déposer des brevets avec la même constance et la même prudence qu'auparavant.

Définition du brevet selon l'Office européen des brevets (OEB / EPO) : c'est "un droit exclusif temporaire qui empêche autrui (y compris les concurrents) d'utiliser l'invention brevetée sans le consentement du titulaire. En contrepartie de cette protection, l'invention doit être entièrement divulguée au public."

Décision de déposer un brevet

Les inventeurs, experts dans leur domaine, estiment parfois que leurs créations sont évidentes, mais elles peuvent représenter une amélioration ou une innovation par rapport à l'existant et donc être brevetables. Ou, au contraire, des entrepreneurs peuvent surestimer la valeur de leurs innovations.
Une fois l'innovation à breveter identifiée, le premier point à examiner est la question du caractère nouveau, inventif et brevetable des solutions développées.
Le critère de nouveauté est absolu : la recherche d'antériorité, effectuée par l'Office européen des brevets (pour les brevets déposés en France) doit montrer que l'invention n'a pas été décrite auparavant, soit dans des brevets antérieurs, soit dans des communications, des articles de presses, des présentations au public ou aux tiers n'ayant pas signé un contrat de confidentialité pour l'innovation en question. Sont visées aussi les descriptions faites avant le dépôt par l'inventeur lui-même. Si un financement par crowdfunding est prévu, les plans de communications doivent intégrer cette contrainte de discrétion.
Tout n'est pas brevetable, les idées, les concepts, les théories, les mathématiques, les créations esthétiques, les logiciels ou les business methods en tant que tels, ne sont pas brevetables. On peut utiliser d'autres formes de protection pour la propriété intellectuelle : les marques protègent les noms et les visuels, les dessins et modèles peuvent protéger les formes et le design, le droit d'auteur protège les logiciels (complexité de la protection des logiciels, voir ci-après).
Une innovation répond au critère d'inventivité, quand elle apporte de manière originale une solution technique à un problème technique. Elle ne doit pas sembler évidente à trouver pour celui qui connaîtrait le métier, sans disposer de compétences ou d'une créativité sortant de l'ordinaire.
D'autres conditions pour la brevetabilité existent : l'invention ne doit pas faire partie d'une catégorie exclue (comme le vivant) et l'invention doit être susceptible d'une application industrielle. Cette dernière condition découle assez directement du secteur dans lequel se fait l'innovation.
D'un point de vue stratégique, il est indispensable de se renseigner sur les brevets détenus par la concurrence, en cours de validité, sur les marchés géographiques visés. Il est inutile de réinventer ce qui l'a déjà été et surtout il n'est pas conseillé d'enfreindre un droit de propriété intellectuelle détenu par la concurrence. Si cet obstacle est vraiment gênant, des études plus poussées pourront être faites, pour vérifier plus en détail la validité de ces brevets concurrents ou revoir son innovation pour la rendre différente donc nouvelle et brevetable, et contourner ainsi les brevets existants.
Puis diverses précautions sont recommandées avant de décider de déposer un brevet.
Les innovations doivent être jugées tout d'abord en fonction de leurs perspectives de rentabilité, de la taille de leur marché potentiel, de la possibilité d'un développement commercial rapide ou non, sans ignorer les moyens financiers à mettre en oeuvre au regard des capacités de l'entreprise.
Après les éléments économiques, d'autres critères sont importants : faisabilité technique pour l'entreprise, partenariats à trouver, intensité de la concurrence et probabilité d'être copié, rapidité d'innovation de l'entreprise par rapport aux délais du processus de prise de brevet, conditions d'accès aux marchés étrangers, normes etc.
Le coût d'un brevet est loin d'être négligeable, et augmente rapidement avec le nombre de pays couverts par la protection : 6000 à 8000 euros en France, 29000 à 35000 euros pour l'Europe, 90000 à 150000 euros pour l'international, en incluant les taxes, les frais de conseils extérieurs en propriété industrielle et de traducteurs (source : Guide pratique de la propriété intellectuelle - INPI, Croissanceplus). Le brevet ne protège l'invention de la copie que pour une durée de 20 ans. Et 18 mois après la demande de brevet, les détails techniques de l'invention sont accessibles au public, donc aux concurrents, et aux grands groupes qui font une veille intensive sur les nouveautés techniques.
Dans les PME et a fortiori dans les TPE, la décision de déposer un brevet revient en pratique au chef d'entreprise. C'est une décision toujours complexe, un choix par défaut entre les conséquences de chaque option disponible, choix effectué au cas par cas, ou bien la décision est le reflet de la politique de propriété intellectuelle voulue par l'entreprise.

Planning

Il y a 18 mois entre le dépôt de la demande de brevet et la publication, puis il faut compter encore six mois à un an pour la validation du brevet. Compte tenu du travail préparatoire avant la demande, le processus d'obtention du brevet est de trois à quatre ans en moyenne. La technique évolue de plus en plus rapidement, et on doit alors se demander si l'invention, au moment où le brevet sera accordé, ne sera pas déjà obsolète.
Le paramètre temps est certainement à prendre en compte au moment de prendre la décision de demander un brevet.
Il est important de ne pas trop attendre pour déposer la demande, afin d'éviter qu'un concurrent, qui travaillerait sur une invention similaire, n'obtienne un brevet le premier. D'autre part, plus on attend, plus le risque d'une divulgation de l'invention s'accroît. Une fois divulguée, elle ne sera plus brevetable (car non nouvelle). Le développement d'un produit avant la demande de brevet nécessite souvent de travailler avec des partenaires avec lesquels un accord de confidentialité doit être signé. De même les contrats de travail des salariés de l'entreprise comportent souvent des clauses de confidentialité / non concurrence. La rapidité la plus grande possible dans la mise en oeuvre du brevet reste sans doute à recommander.
Mais il est risqué aussi de déposer un brevet avant que l'invention ne soit assez finalisée. Des détails techniques pourraient encore évoluer, et le texte du brevet (description, revendications) ne pourra pas être changé de façon fondamentale. Il en résultera une protection insuffisante de l'invention, le brevet pourra être contourné par des concurrents. Si une certaine maîtrise des aspects techniques est une condition préalable à la demande de brevet, la réalisation d'un prototype qui fonctionne n'est pas obligatoire, le développement technique de l'invention se faisant par exemple à l'aide de schémas ou de plans.

Faire appel à un conseil extérieur

Le chef d'entreprise d'une PME ou d'une TPE ne dispose pas le plus souvent dans son entourage des personnes capables de lui apporter un avis ou une expertise sur l'opportunité et les détails du processus de dépôt de brevet. Le recours à un conseil en propriété industrielle est une étape probablement indispensable en matière de brevets, plus en tout cas que pour les marques ou les modèles.
Le fait de présenter les réalisations de son entreprise à un spécialiste de la propriété industrielle facilite la détermination du caractère brevetable des inventions ou des techniques qui ont été développées. C'est une occasion pour l'entrepreneur de discuter de stratégie avec un conseiller extérieur, et de se poser des questions sur les priorités, les moyens disponibles pour parvenir à des objectifs.
Le conseil apporte son expertise et son expérience dans différents domaines :
- vérification des conditions de base de la brevetabilité d'une invention,
- première recherche d'antériorité : vérification, principalement dans les bases de brevets, que le produit ou procédé à breveter ne fait pas déjà l'objet d'une protection ou d'une publication,
- procédure de dépôt : rédaction du brevet selon le formalisme exigé, démarches administratives,
- mise en place d'une veille : surveillance de l'évolution de la technique, concurrents, contrefaçons etc.
La rédaction du brevet est particulièrement importante : elle doit être claire et concise, et permettre à quelq'un du métier de reproduire l'invention, en principe sans difficultés. Le brevet est accessible au public, via les bases brevets (en accès gratuit sur internet) : il faut limiter les informations publiées, mais rester suffisamment précis sinon le brevet ne protégera pas efficacement l'invention.
Le choix d'un conseiller se fait bien sûr en fonction de sa compétence connue et de son expérience dans le domaine technique de l'invention, mais aussi de sa capacité à rédiger un brevet pour le rendre plus difficile à contester par les tiers ou pour éviter autant que possible les litiges futurs, ou de sa connaissance des pays dans lesquelles le produit doit être protégé et de leur législation en matière de brevet.

Brevet ou secret ?

Garder une invention secrète plutôt que de déposer un brevet présente de nombreux avantages pour les PME. Contrairement aux brevets, les secrets d'affaires ne sont pas limités à 20 ans, n'impliquent pas un processus assez long et couteux (effet immédiat), évitent l'obligation de publier des informations sur des techniques et procédés a priori confidentiels, et sont applicables à un ensemble plus large d'inventions, y compris celles ne remplissant pas tous les critères de brevetabilité.
Le secret n'offre toutefois pas les mêmes garanties de protection que le brevet : il n'y a pas d'assurance que des concurrents ne copient pas l'invention, ne l'exploitent pas commercialement. L'entreprise ne pourra pas les attaquer en contrefaçon. Des concurrents pourront déposer des brevets sur l'invention, et interdire l'exploitation par l'entreprise de ses propres innovations. Celle-ci pourra continuer à les exploiter si elle peut prouver qu'elle les avait antérieurement développées ou mises en oeuvre. Les moyens de preuve sont les enveloppes Soleau déposées à l'INPI, les cahiers de laboratoire certifiés, les descriptions déposées chez des notaires, huissiers et organismes tels que APP (logiciels), SGDL, SCAM... Faire jouer l'exception de possession personnelle antérieure est possible en France, mais plus difficile voire impossible à l'étranger.
Le maintien du secret peut aussi s'avérer complexe à mettre en oeuvre. Il est nécessaire de faire signer des contrats de confidentialité avec les partenaires, fournisseurs et salariés. L'information sensible devra être tenue confidentielle par des précautions particulières : restrictions d'accès, protections de (cyber)sécurité, maitrise de la diffusion des documents, limitation du nombre de personnes détentrices d'informations à protéger.
Dans tous les cas, il est important de savoir si le produit physique commercialisé permettra aux tiers de comprendre et de reprendre l'invention pour leur propre compte, auquel cas le brevet offrira plus de protection que le secret. A noter que les actions en contrefaçon de brevet peuvent inversement entraîner la divulgation d'informations secrètes, ou la violation du secret des affaires.
La protection du secret des affaires devrait être renforcée avec une directive européenne (directive 2016/943 du 8 juin 2016) : elle prévoit l'obligation de confidentialité au cours des procédures, la possibilité de faire prendre des mesures visant à "prévenir ou faire cesser une atteinte" au secret d’affaires, de demander la destruction des informations obtenues de façon illicite, ainsi que des dommages et intérêts. Les entreprises devront, pour exercer ces droits, pouvoir prouver qu'elles ont elles-mêmes organisé des mesures de protection suffisantes de leurs informations confidentielles.
Le choix entre secret et brevet est délicat, parfois c'est un dilemme. Aucune solution n'étant satisfaisante à 100%, le choix devra être fait au cas par cas, selon les objectifs de l'entreprise. Pour des innovations vraiment stratégiques, ou destinées à des marchés internationaux, beaucoup d'entreprises préfèrent garder le secret sur leurs innovations.
Si la décision de déposer un brevet est prise, le secret d'affaires devra être préservé avec soin jusqu'à la date de dépôt de la demande de brevet, pour ne pas compromettre le caractère de nouveauté de l'invention.

Stratégies liées aux brevets

Déposer un brevet ou garder le secret n'est pas la seule option à la disposition des entreprises : une autre alternative est la divulgation des inventions. C'est une façon peu coûteuse d'empêcher les concurrents de déposer des brevets, et de garder le champ libre pour exploiter les innovations. En contrepartie la société ne pourra plus déposer de brevet (sauf si la divulgation est faite après le dépôt de la demande de brevet), et ne pourra pas attaquer les tiers en contrefaçon. Laisser les concurrents copier n'est pas forcément une mauvaise solution dans des secteurs où la technique évolue vite, si la société innove en permanence, et garde toujours une longueur d'avance.
Des stratégies "mixtes" sont parfaitement envisageables. Par exemple, une PME peut déposer des brevets a minima pour protéger la partie centrale de ses innovations et pouvoir les exploiter librement. Certains aspects annexes/non essentiels de sa technologie peuvent faire l'objet de publications, son savoir-faire et certaines de ses techniques restant eux couverts par l'organisation d'un secret d'affaires.
Les brevets sont le plus souvent employés de façon défensive pour garantir la libre exploitation d'une invention, ou d'une technologie plus large que l'invention brevetée.
On peut lister de façon non exhaustive divers avantages liés et au processus de dépôt et à la possession de brevets :
- dissuader et décourager la copie, si possible sans avoir à recourir à des contentieux toujours coûteux ;
- améliorer l'image de marque, la notoriété de l'entreprise vis à vis des tiers : fournisseurs, clients, partenaires, banques, public ;
- identifier et dater les créations techniques et les savoir-faire ;
- stimuler en interne la créativité et l'innovation ;
- attirer les compétences, motiver les salariés ;
- faire une veille sur l'état de la technique, les derniers brevets déposés et la stratégie des concurrents ;
- trouver, grâce à la veille dans les bases de brevets, de nouvelles idées pour des innovations, de nouveaux partenaires ou fournisseurs ;
- améliorer ses moyens de défense face aux brevets des concurrents, avec éventuellement la possibilité d'échanges de brevets ou de licences ;
- évaluer et sécuriser la propriété intellectuelle de l'entreprise avant de conclure un partenariat avec d'autres sociétés innovantes, ou avec des groupes importants ;
- créer un actif valorisable lors d'un tour de table, ou en vue d'une cession future.
Les brevets dans les PME se justifient essentiellement si elles veulent protéger leurs marchés (libre exploitation de leurs innovations et frein à la concurrence), ou bien si elles ont besoin de se valoriser, si l'objectif à terme de l'entrepreneur est une cession de sa société à des investisseurs ou à un groupe.

Licences d'exploitation

Les licences d'exploitation de brevets qu'une entreprise concède lui rapportent des revenus ou redevances, qui sont taxées au taux favorable des plus values à long terme de 16%.
Mais pour une PME de taille modeste, les possibilités de concessions de licences paraissent assez limitées. La difficulté est de trouver des tiers intéressés par les brevets qu'elle a déposés. Même si ces brevets ont été rédigés pour que les revendications englobent une invention ou une technologie de la façon la plus large possible, il est possible que le champ couvert ne soit pas suffisant (portefeuille de brevets pas assez étoffé).
La négociation d'accords de licences suppose aussi d'avoir une expérience de ce type de transaction et de contrats.
Ceux qui concèdent des licences doivent surveiller en permanence les marchés et identifier les acteurs qui ne respecteraient pas leurs brevets, pour pouvoir ensuite les contraindre à prendre une licence : c'est une stratégie plus adaptée à des sociétés qui ont une force de négociation et des moyens financiers importants.

Controverse autour des brevets logiciels

Législation en vigueur

Les logiciels sont protégés par le droit d'auteur comme des oeuvres littéraires, et non par le droit des brevets.
Le droit d'auteur couvre spécifiquement les documents préparatoires de la phase d'analyse, le programme - c'est à dire le code du logiciel -l'architecture du programme, la documentation. L'interface graphique (en général), les fichiers de données, les formats de fichier ne sont pas protégés par le droit d'auteur : d'autres types de protection comme les dessins et modèles, les marques, des droits spécifiques pour les bases de données sont utilisables. Le logiciel doit être une création suffisamment élaborée et originale, sinon la protection serait quand même présumée mais pourrait être contestée. Il est recommandé de faire un dépôt à l'APP ou chez Logitas ou à l'INPI, afin de servir de preuve et de date certaine de création.
La non brevetabilité concerne le logiciel "en tant que tel". Dans la mesure où le logiciel s'intègre dans une invention mise en oeuvre par ordinateur, il peut être breveté. Il faut pour obtenir un brevet, démontrer que le logiciel à un "effet technique" supplémentaire. L'effet technique, par exemple, serait de contrôler une machine ou d'améliorer un système, y compris le fonctionnement d'un ordinateur : amélioration de la vitesse ou de la sécurité des traitements informatique.
Les critères de nouveauté et d'inventivité sont à prendre en compte : le logiciel doit offrir une solution technique, à un problème qui n'était pas traité dans l'état actuel de la technique. Ainsi, le paiement direct d'achats avec un téléphone portable a pu être considéré comme une invention brevetable, car offrant une alternative au paiement en monnaie ou par carte.

Le débat

Le choix du droit d'auteur plutôt que le droit des brevets a été à l'origine de nombreux débats, qui sont encore en cours et ont été ravivés avec l'avènement des logiciels open source ou libres. Les solutions choisies diffèrent selon les pays, en Europe et dans le monde. La disparité des législations nationales sur les brevets logiciels est une source d'incertitude juridique.
En Europe, afin d'assurer une convergence des législations des pays membres en matière de brevets, la Commission Européenne avait proposé en 2002 une directive "relative à la brevetabilité des inventions mises en oeuvre par ordinateur". Selon cette proposition de directive, les logiciels étaient présumés appartenir au domaine technique, ce qui entraînait logiquement leur brevetabilité. Mais le parlement européen a modifié la directive en refusant d'accorder aux logiciels la présomption de caractère technique et a limité la possibilité de brevets logiciels aux inventions techniques comprenant l'utilisation d'un logiciel. Les brevets ne sont donc toujours pas brevetables en tant que tels.
Le brevet unique européen en cours de mise en place (brevet unitaire) ne remet pas en cause la non brevetabilité des logiciels en tant que tels, mais pourrait permettre à l'Office européen des brevets de valider des brevets logiciels selon sa propre jurisprudence, plus favorable aux brevets logiciels que la jurisprudence française. Un nouveau système juridictionnel, indépendant des états, compétent pour juger les litiges liés aux brevets européens et brevets unitaires pourrait défendre ces brevets. Toutefois, les brevets unitaires et la juridiction unifiée du brevet (JUB / UPC), prévus pour 2017, devraient être retardés par le Brexit.
Les Etats-Unis autorisent les brevets pour les logiciels, mais des décisions de justice récentes ont été défavorables à la prise de brevet, pour des logiciels qui appliquent une business method (methode d'affaires) sans apporter en plus un élément inventif, autrement dit des logiciels qui appliquent des concepts, des idées abstraites ou des principes généraux - non brevetables - de façon conventionnelle ou évidente, avec des fonctionnalités standard. Les logiciels dont la brevetabilité a été remise en question relevaient du domaine de l'économie ou de la finance, plutôt que du domaine technique. Il y a là sans doute un rapprochement en cours avec les pratiques européennes et françaises.

Les arguments du débat

1/ Insuffisances du droit d'auteur comme protection des logiciels :

- Le droit d'auteur ne protège que la forme, l'"expression littérale" du programme, c'est à dire le code qui a été écrit (code source, code objet).
- Les algorithmes et les fonctionalités d'un logiciel sont considérés comme des idées, et ne sont donc pas protégés par le droit d'auteur. Ces principes et fonctions d'un logiciel représentent pourtant mieux la créativité, l'utilité et la valeur du logiciel que l'écriture littérale du code.
- Les coûts de recherche et développement des logiciels sont des investissements importants, qui justifient une protection par des brevets.
- Les logiciels protégés par le droit d'auteur ne sont pas des actifs aussi bien valorisés que les inventions protégées par des brevets, ce qui est un handicap pour les petites sociétés qui développent des logiciels.
- La protection par droit d'auteur n'est pas toujours suffisante, la preuve de la copie peut être difficile à apporter.

2/ Arguments en faveur du droit d'auteur, ou contre les brevets logiciels :

- Contrairement au brevet, le droit d'auteur a un effet immédiat, il n'a pas de coût ni de formalités préalables, il est mondial et il protège longtemps (70 ans à compter de sa publication).
- Le coût des dépôts de brevet, et surtout la longueur du processus d'enregistrement se prêtent mal aux logiciels, en évolution et renouvellement perpétuels.
- Les brevets de logiciels pourraient être multipliés par certaines sociétés désireuses de se protéger de la concurrence et constituer des amas enchevêtrés de brevets (patent thickets), ce qui ne favoriserait pas l'innovation. Des monopoles risqueraient de se mettre en place, selon les partisans du logiciel libre.
- Les innovations en matière de logiciel seraient incrémentales (sauf cas d'innovations de rupture) : les avancées sont fondées sur la technique et les logiciels existants. Si ceux-ci étaient trop bien protégés par des brevets, les informations et les techniques ne se diffuseraient pas, et le progrès serait ralenti (argument des partisans du logiciel libre).
- Les sociétés éditrices de logiciels dans les pays qui autorisent les brevets comme les Etats Unis, n'ont pas le temps de vérifier l'antériorité, ni de s'assurer qu'elles n'enfreignent pas des brevets existants.
- Le coût des procédures et litiges sur les brevets serait un désavantage pour les PME face aux grands groupes.
- Il existe des difficultés pratiques à vérifier l'état de l'art compte tenu des changements rapides et de la quantité et complexité des logiciels, et donc de valider la nouveauté des logiciels.
- Le caractère inventif ou non évident d'un logiciel est peu commode à démontrer, les offices de brevet ne sont pas forcément dans la position de connaître l'état de la technique. - La rédaction des revendications techniques dans un dépôt de brevet serait trop complexe et longue pour les logiciels.
- La documentation technique publiée dans les bases de brevets et relative à un logiciel serait selon certains une source d'information utile pour le public, mais selon d'autres, cette documentation ne serait pas exploitable même par des experts en informatique, ce qui diminuerait l'utilité ou la raison d'être de ces bases.

Les logiciels libres ou open source

Le logiciel libre offre à l'utilisateur la liberté d'utilisation, d'étude et de modification du code, ainsi que de distribution / publication, avec ou sans modifications. L'étude et la modification supposent l'accès au code source du logiciel par les développeurs et utilisateurs, qui peuvent constituer des communautés qui recherchent des améliorations au logiciel et l'élimination des failles de sécurité. Le logiciel libre favorise souvent les formats ouverts et l'inter-opérabilité entre les programmes.
Sauf renonciation aux droits et mise dans le domaine public, le logiciel libre est protégé par le droit d'auteur. Les licences libres sont de différents types, et sont accompagnées de plus ou moins de contraintes.
Les licences de type "copyleft" entraînent une obligation de réciprocité : les logiciels qui intègrent du code sous ces licences doivent eux-mêmes être distribués sous une licence libre copyleft. Il s'agit en particulier des licences GPL (General Public licence) du projet GNU, CeCILL, ou GFDL.
D'autres licences, dites non copyleft ou permissives, imposent peu de contraintes, parfois la seule mention du copyright. Il est possible de créer et distribuer des logiciels qui utilisent du code sous ces licences, mais qui restent des logiciels propriétaires, c'est à dire non libres. Parmi les exemples de licences permissives figurent les licences BSD (Berkeley Software Design), MIT ou Apache.
Les licences libres n'empêchent pas forcément la vente des logiciels, ou, par exemple, la facturation des développements faits par des indépendants pour des sociétés. Mais certaines licences dites semi-libres n'accordent le droit d'utiliser, modifier ou distribuer des logiciels que dans un but non lucratif.
La multiplication des variantes de licences libres, et leur caractère contaminant ou viral éventuel (impossibilité de créer des logiciels propriétaires dont une partie du code est sous ces licences) obligent les entreprises qui souhaitent les utiliser à le faire avec discernement, pour pouvoir ensuite commercialiser leurs créations de la façon qu'elles souhaitent. Si différentes licences libres sont utilisées simultanément dans un même programme, elles doivent aussi être compatibles entre elles.
Certaines entreprises, en particulier les start-up, choisissent le modèle économique du logiciel libre. Leurs revenus viennent alors d'autres sources que la vente de licences : contrats de support à l'utilisateur et prestations de service à valeur ajoutée, services Web, Saas et mobile, intégration des logiciels à des produits etc.

Stratégies

Sans vouloir prendre parti pour le logiciel libre, ni pour le droit d'auteur, ni pour les brevets logiciels, force est de constater que :
- le droit d'auteur qui protège le code des logiciels n'empêche pas les concurrents d'en copier les fonctionnalités originales, en restant dans la légalité s'il réécrivent la totalité du code ;
- les logiciels libres sont de plus en plus utilisés dans les entreprises qui les intègrent sous forme de briques logiciels dans leurs propres développements, ce qui peut apporter de la complexité juridique et présenter des risques pour la commercialisation ultérieure ;
- de nombreux brevets sur des logiciels ont déjà été déposés en Europe, aux Etats-Unis, au Japon ou ailleurs : on peut être ainsi amené à faire des contrefaçons plus ou moins volontairement.
Ces problèmes, entre autres, doivent être analysés et pris en compte. Il vaut mieux parfois réécrire du code, plutôt que de s'exposer à des incertitudes sur la légalité de l'utilisation de certaines licences.
Une étape juridique est de plus en plus justifiée dans le développement d'un logiciel.
Si un tiers copie les fonctionnalités et les méthodes d'un logiciel en réécrivant le code, le droit d'auteur ne protège pas le créateur du premier logiciel, mais il est possible dans certaines conditions de poursuivre l'imitateur par une action en concurrence déloyale ou pour parasitisme. Une tactique, pour protéger efficacement les fonctionnalités d'un logiciel ou une méthode mise en oeuvre par ordinateur, consiste à demander un brevet européen, qui pourra être accepté dans la mesure où la demande ne concerne pas un logiciel en tant que tel, un simple listage de code source. Il faut démontrer qu'il s'agit d'une invention qui résout un problème technique, d'une façon nouvelle et non évidente. Les conditions de nouveauté et d'inventivité paraissent assez faciles à comprendre (à noter qu'il n'y a pas de nouveauté si une méthode non informatisée ancienne connue avait la même fonction que le logiciel). La condition de résoudre un problème technique implique que l'invention comporte une caractéristique technique. Un programme relevant du domaine commercial ou de l'expression mathématique pure ne serait pas accepté. Par contre si des revendications de l'invention mentionnent un ordinateur physique ou un réseau informatique, le brevet serait accordé. Les règles de l'Office européen des brevets pour les logiciels sont plus souples que les règles françaises actuelles, mais moins que les règles américaines (qui évoluent cependant dans le sens d'un durcissement des conditions de brevetabilité).
Sous-traitance Les sociétés qui recourent à la sous-traitance pour le développement de leurs logiciels doivent prévoir dans les contrats des clauses décidant à qui revient la propriété intellectuelle du produit final. Selon leurs objectifs, et l'équilibre qui s'établit dans les négociations avec les sous-traitants, les sociétés gardent ou non la propriété intellectuelle sur le code de leur logiciel. Dans l'hypothèse où une société fait appel pour des raisons économiques, à des sous-traitants off shore, même si ses contrats lui transfèrent la propriété intellectuelle, les risques juridiques sont parfois importants, et les frais, si la société souhaite résoudre le litige éventuel par une procédure contentieuse, sont élevés.
Saas Le modèle de distribution du logiciel-service en mode Saas, souvent basé sur des licences libres, connaît une forte croissance. Fournisseurs et utilisateurs concluent non pas un contrat de licence de logiciel mais un contrat de service dans lequel la notion de droit d'auteur n'intervient pas. Il est plus difficile de démontrer la violation de droits de propriété intellectuelle dans ce schéma d'utilisation, cependant des brevets pourraient être enfreins au niveau des fonctions ou fonctionnalités, avec un risque de litiges et donc de difficultés juridiques pour les fournisseurs comme les utilisateurs.
A noter aussi que nouvelles responsabilités naissent avec ces applications en Saas sur le cloud, comme le traitement des données : conservation, intégrité, confidentialité, données personnelles, ou aussi la garantie de qualité du service qui dépend de l'intervention coordonnée de plusieurs acteurs : sous-traitants et fournisseurs, hébergeurs et opérateurs télécom.

Liens utiles :

Base Brevets (INPI)
Espacenet (Office des Brevets Européens)
Patentscope (OMPI)
Google Patents
Liste de bases brevets accessibles par internet (PIUG)
Outil d'aide à l'évaluation stratégique des brevets (IPscore)

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