18/08/2016

Prise de risques manifestement excessifs : absence d'acte anormal de gestion s'il y a eu recherche de l'intérêt de l'entreprise



Le caractère déductible des charges, selon le principe de l'acte anormal de gestion, suppose que les opérations qui les justifient, correspondent à des actes relevant d'une gestion commerciale normale. Le motif du risque manifestement excessif a été introduit par la jurisprudence du Conseil d'Etat, et l'administration l'a utilisé par la suite dans ses redressements à la manière d'une extension de l'acte anormal de gestion. C'est cette théorie que le Conseil d'Etat vient de remettre en cause dans un arrêt du 13 juillet 2016.

La question reste de savoir si le motif de risque manifestement excessif continuera d'être utilisé, ou bien sera définitivement écarté à l'avenir, sauf dans le cas des détournements de fonds rendus possibles par le comportement délibéré ou la carence manifeste des dirigeants, cas où le maintien du motif de risque excessif dans les redressements fiscaux est expressément prévu.

Dans le litige visé par la décision du Conseil d'Etat n°375801 du 13 juillet 2016, l'administration contestait la déduction fiscale d'une provision. Une banque avait accordé des crédits importants à une société entre le 31 décembre 2000 et le 31 décembre 2004, puis avait passé à ce titre des provisions pour risque de non recouvrement de créances dans ses comptes au 31/12/2003 et au 31/12/2004. L'administration fiscale a réintégré dans le résultat de l'exercice clos en 2004 la majeure partie de la provision, en considérant que la société n'avait pas agi dans le cadre d'une gestion commerciale normale, même si l'octroi des crédits en question entrait dans son objet social. Cette position a été validée par le juge qui a invoqué une prise de risque inconsidérée de la banque.

Le Conseil d'Etat a cassé l'arrêt de la Cour d'appel administrative de Versailles. Il a rappelé qu'il n'appartenait pas à l'administration "de se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par l'entreprise et notamment pas sur l'ampleur des risques pris par elle pour améliorer ses résultats" et que la cour se devait "seulement de rechercher si les décisions en cause étaient conformes à l'intérêt de l'entreprise", ce qu'elle n'avait pas fait ici.

D'autres décisions récentes de la haute juridiction avaient déjà limité la portée de la théorie des risques excessifs : cf. décisions n°363168 du 11 juin 2014 et n°327764 du 27 avril 2011. Sans exclure la possibilité de recourir à l'option du risque excessif, le Conseil d'Etat avait voulu qu'elle soit appliquée de façon restrictive. La dernière décision vient conforter les deux précédentes, et en tant que décision de principe, au moins en apparence, elle aura sans doute de l'importance dans la jurisprudence.

L’administration n'est pas habilitée à s’immiscer dans la gestion des entreprises, mais la théorie de l'acte anormal de gestion lui permet de remettre en cause des opérations contraires aux intérêts de l'entreprise, comme certaines charges qui n'ont pas de contreparties, ou la renonciation à des recettes. L'application de la théorie du risque manifestement excessif élargissait considérablement le champ d'intervention de l'administration dans la gestion des entreprises, ce qui allait à l'encontre du principe de non immixtion dans la gestion, ou de celui de la liberté de gestion des entreprises.

Il est clairement dit dans la décision du 13 juillet 2016 que l'administration fiscale n'a pas à juger de l'opportunité des choix de gestion ou de l'ampleur des risques pris par les entreprises, (sous-entendu : quelles que soient les conséquences financières de ces actes), du moment qu'ils ont été effectués dans l'intérêt de ces entreprises. Cette solution a l'avantage à la fois de préserver la liberté de gestion et la prise de risque, indispensables dans l'économie réelle, et aussi d'empêcher la formation de nombreux litiges entre l'administration et les sociétés compte tenu de la subjectivité de l'appréciation des risques qui ont été pris dans la conduite des affaires.

Dans le cas d'un dysfonctionnement du contrôle interne d'une entreprise, avec des conséquences financières graves, on ne peut parler d'acte anormal de gestion sauf s'il y a eu un comportement délibéré ou une carence manifeste des dirigeants ou des dispositifs de contrôle. Cette situation rejoint celle, précitée, des détournements de fonds. Il reste néanmoins difficile de déterminer la limite entre simple défaillance de l'organisation et carence manifeste accompagnée de risques excessifs, comme dans le cas d'un trader qui dissimulerait des prises de position risquées et des pertes à une banque qui l'emploie.

Conseil d'Etat 375801 du 13 juillet 2016
Conseil d'Etat 363168 du 11 juin 2014
Conseil d'Etat 327764 du 27 avril 2011

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